mercredi 30 mai 2007

Loki écoute ... Tekilatex.



Un mardi soir sur Internet. Errance numérique face à mon écran. Une 16 et un 12 accompagnent le mouvement. Les heures filent, la fumée s'étire, le sommeil tarde. Ma balade électronique me conduit jusqu'à l'inévitable Myspace. Surprise: l'album de Tekilatex est en écoute sur sa page. "humm..." Ca, c'est le son de ma puissante pensée à cet instant précis. Effet spécial littéraire... Impressionnant...
En amateur de longue date des productions déjantées de l'ami Teki, je décide évidemment de m'attarder quelques minutes sur son site. Craignant l'effroyable, il faut bien l'avouer. Si Ceci n'est pas un disque et Batards Sensibles trônent en bonne place dans mon panthéon des meilleurs albums de rap français, TTC me donnait la singulière impression de patiner dans les paillettes ces derniers temps. 3615 TTC, malgré le parfait Travailler et le surprenant Antenne 2, n'avait provoqué que des gargouillis affamés dans mon estomac. La recherche de la simplicité pop semblait laisser sur sa faim l'adepte de l'outrancier Batards Sensibles et du « cérébranleur » Ceci n'est pas un disque. Alors à l'évocation de l'imminent album solo de Tekilatex, annoncé par un Disco Dance With You sans saveur, j'ai senti poindre la fin de l’idylle.
Mais alors que l'album défile dans mes oreilles, un ovni sonore y fait une brutale apparition. Plage 5. Petite Fille. Duo Tekilatex et ... Katerine! Oh putain...
Première écoute... "Mais bordel, qu'est ce que c'est qu'c't'enfoiré d'morceau!" Là, c'est le son de ma voix hein, ma pensée ne parle pas aussi bien...
Tekitek tente de chanter, mais feule plus qu'autre chose. Voix sous autotune. Sur une mélodie tout droit sortie du synthé de Charly Oleg ou d'un xylophone électronique Playschool, son timbre nasillard s'envole vers des aigus qui ne sont sans doute jamais sortis de son gosier. On le sent au bord de la rupture, mais il parvient à tenir la note jusqu'au couplet de Katerine, au son étonnamment proche, au point qu'on peine à les différencier. Urticaire immédiat sur mon tympan. C'est juste très moche. "Bullshit!" éructe-je, bien décidé à ne jamais réinsérer pareille hérésie dans mes délicats tubes auditifs. Et pourtant...
Pourtant, j'y retourne! Deuxième écoute. Troisième écoute. Quatrième... Et soudain, révélation! Ce morceau est génial! Teki ne feule pas, il susurre à l'oreille d'une enfulte attardée, princesse myspacienne résolue à ne jamais quitter sa jeunesse virtuelle. Katerine fait du Katerine, aussi cintré que son slip kangourou, miaulant des rimes à la perversité romanesque. "Elle lèche les boules de vanille, elle lèche les boules de myrtille, comme si elle voulait se voir, miroir, mon beau miroir" C'est Annie aime les sucettes en 2057, France Gall sous vocodeur débarquant à l'Eurovison à bord d'une Doloréan sur-tunnée! Inaudible puis irrésistible. Subtilement vulgaire, finement putassier. Enfoiré…


La page en question: myspace.com/tekitek.
Bientôt une chronique complète de l'album.


Clip: Les matins de Paris, featuring Lio

mardi 29 mai 2007

Dix ans

C'était il y a dix ans, jour pour jour. Au bord de l'un des gigantesques bras du Mississipi, un ange s'apprête à prendre son envol dans les eaux sombres du fleuve. Sur la rive, le poste d'une voiture garée nonchalamment éructe un Led Zepplin possédé. Quelques mètres plus loin, un homme fixe l'impétueuse rivière. Son regard se perd dans ses profondeurs. Sur la surface vitreuse de ses yeux, un voile de larmes s'est déposé. La défonce a rougi ses fines paupières. Elles ne ressemblent plus qu'à deux meurtrières prêtes à cracher le feu sur un monde menaçant. A quoi pense l'ange? A la saloperie de l'existence? A cette mélancolie gloutonne qui ne cesse de le ronger? A l'impossibilité de s'extirper totalement de la médiocrité humaine, quelque soit l'ivresse? Derrière lui, Robert Plant accompagne d'un cri brûlant les distorsions fiévreuses qu'arrache Jimmy Page à sa guitare. L'émotion monte. Le niveau de l'eau aussi. L'ange en a jusqu'aux genoux, sans même s'en apercevoir. Contact doux, soyeux, protecteur. Fraîcheur salvatrice. Il fait si chaud. La voici à sa taille. Wanna whole lotta love? lui demande Robert Plant. Way down inside... Enfoncé bien profond... C'est ce dont tu as besoin... L'ange n'entend plus. Ses oreilles boivent la tasse. Puis ses yeux. Son front. Et sa chevelure folle et aérienne. Six jours plus tard, son corps est découvert, lové dans le lit du Mississipi. Il s'appelait Jeff Buckley.


Un seul album de son vivant, le bien nommé Grace. Un disque époustouflant de virtuosité, habité par le souffle du génie, porté par une voix à la douceur tellurique. Une perfection brute. Un opus unique tenant de l'alignement cosmique, à l'évident caractère divin. La musique d'un battement d'aile. Son auteur avait sans doute déjà quitté la terre lorsqu'il l'a enregistré. Bien avant qu'il ne se couche dans le Mississipi, ce 29 mai 1997.

Sa divine reprise de l'Hallelujah de Leonard Cohen:


So Real, version acoustique:


Grace. Rien à ajouter:

lundi 28 mai 2007

Loki écoute .... Wax Tailor


Musique filmée

Le metteur en son Wax Tailor est de retour ! Après la gifle Tales of forgotten melodies, assénée en 2005, le producteur français le plus coté du moment nous envoie un Hope & Sorrow qui devrait, une nouvelle fois, faire rougir les joues des amateurs. 13 titres et 3 interludes, comme autant de scènes d’un film aux multiples ambiances. La soul des 70’s donne la réplique au jazz, le hip-hop dialogue avec la funk, le passé parle au présent. Le casting, plus fourni que sur le précédent opus, fait la part belle aux titres chantés. La voix cristalline de Charlotte Savary se pose avec délicatesse sur trois titres, dont l'hypnotique To dry up. La divine Sharon Jones envoute sur le superbe The Way we lived. Ursula Rucker, prêtresse du spoken word, offre un étonnant We Be, tandis que les habitués The Others claquent un gros rap à la saveur nu soul avec House Of Wax. Conteur sonore, Wax Tailor déroule des images musicales dans le cortex de l'auditeur, l'entrainant très loin dans les hauteurs de son imaginaire. Avec Hope & Sorrow, il confirme qu’il joue bien dans la cours des Spielberg de la discipline : RJD2, DJ Shadow ou Herbaliser. Un disque qui mériterait un Oscar.

Clip: To dry up feat. Charlotte Savary

vendredi 25 mai 2007

Loki y était.... Justin Timberlake à Bercy.


J’ai un sifflet de CRS dans les oreilles. Il griffe mes tympans à la lame de rasoir. La cause : je sors tout juste du concert de Justin Timberlake. Et derrière moi, à quelques centimètres de mon cou, trois adolescentes en feu ont hurlé leur amour hystérique pendant deux heures, soufflant sur ma nuque des ultrasons moites et brulants. On ne soupçonne pas le déferlement de décibels orgasmiques qui peut s’enclencher dans la gorge d’une ado à l’aluette transformée en clitoris gonflé à bloc. Avis aux Jacky passionnés de tunning : pas besoin de baffles surpuissants pour rempoter un concours de sono, trois teenagers sous trip Justin dans le coffre devrait faire sauter d’un coup le capot de la moindre 206 renforcée.
A la décharge de mes trois choristes, il faut avouer que leur volume stratosphérique était à la hauteur de ce qui se passait sur scène. Durant deux heures d’un show impeccable, Justin a largement confirmé son statut d’étoile la plus scintillante du Star System. Dès l’entrée sous le dôme de Bercy, la disposition choisie atteste le bon gout du lascar : une scène toute en rondeur trône au centre de la salle. Une longue passerelle surélevée traverse le lieu sur toute sa largeur. D’où qu’il soit, le spectateur ne manquera rien des savants déhanchés du maitre de cérémonie. Aux premières notes, un gigantesque rideau circulaire descend lentement du plafond et vient entourer la scène principale d’un voile blanc translucide. Quelques secondes plus tard, le visage de Justin s’y dessine, apparition quasi christique sur la toile qui prend des allures de Saint Suaire. Un concert de feulements amourachés s’élève des travées de Bercy. Il faudra qu’un jour la Ligue des Orthophonistes Associés fasse passer un moratoire sur l’interdiction des « i » dans les patronymes des chanteurs à succès… Au centre du tube transparent, Justin émerge lentement du sol, affublé de son désormais légendaire costume trois pièces gris agrémenté de baskets blanches éclatantes.
« Here we are now, entertainers... » Justin et sa troupe : quarte choristes, un groupe disposé tout autour de la scène, et une dizaine de danseurs survoltés arpentant l’espace sans faiblir. Les tubes incandescents s’enchainent avec souplesse, la salle est debout jusqu’aux gradins les plus haut perchés. Justin se balade du centre aux extérieurs, chaque plateau étant pensé pour qu’aucune partie du public ne soit lésée. A chaque approche, il déclenche des vagues passionnées tentant de lécher ses divins petons. Le bonhomme semble parfois effrayé par cette foule mouvante prête à le croquer. Le slam, ce ne sera pas pour ce soir, au risque de finir dévoré à la Jean Baptiste Grenouille ! Aux effets pyrotechniques, Justin a préféré la proximité et une certaine sobriété. En déplaçant sa scène au centre, en laissant les instruments visibles et quasiment à portée d’oreille, occupant l’espace sans que le contact ne soit parasité par le moindre décor, il parvient à créé de l’intime. On touche là ce qui fait sans doute le succès du gamin de Memphis. L’Elvis moderne ne brille ni par sa voix ni par son charisme. Plus lisse qu’une mèche de Beyonce après défrisage. Pendant son show, il m’est venu des images fugaces et violentes de GG Allin, punk ultime qui déféquait sur scène et pissait joyeusement sur son public, n’hésitant jamais devant une jolie scarification. Si Allin était le Ying, Justin serait son Yang, une perfection de platitude. Mais c’est justement dans ce dépouillement qu’il trouve sa puissance. Depuis l’effroyable N’Sync, Justin ne cesse d’élimer son style. De la pop indigeste de Max Martin aux mélodies binaires de Timbaland, des jeans à franges à l’impeccable costard, des mégas shows au concert de ce soir, de Britney Spears à Cameron Diaz … ou Scarlett Johansson… ou Jessica Biel… Bref.
Le garçon a compris une chose : c’est parfois dans la simplification totale que se niche la sophistication la plus aboutie. C’est sans doute pour cette raison que la collaboration avec Timbaland a tout de suite porté ses fruits. L’homme qui a imposé ses compositions syncopées à trois notes au sommet des sharts mondiaux a trouvé sa muse parfaite. Ses productions ultra rythmées, dominées par des basses sismiques, correspondent parfaitement aux aspirations musicales de Justin qui tient là son pygmalion. Il sexualise ses textes à outrance, assume la simplicité du propos, ne devient plus qu’un symbole, une évocation. Sa danse est du même acabit : pas de salto ni de coupole spectaculaire, mais des gestes souples, sobres, maitrisés, légèrement sexuels (ce soir, il osera tout de même le fameux attrapage de testicules cher à Michael Jackson), exécutés avec classe. Voilà, Justin est une épure. Une statue de glace, beauté saisissante et éphémère. Lisse et translucide. Le maitre de la facilité perfectionnée. Une incantation plus qu’une incarnation. On est loin d’un Isaac Hayes en débardeur en côte de maille, suintant d’un érotisme brut. Justin, c’est du « safe sex symbol », de la virilité érectile sous capote. Sensualité rassurante. A la mi-temps du show, Timbaland vient recevoir l’ovation qu’il mérite et enchaine un medley de ses derniers tubes. Puis Justin reprend le flambeau-micro et entraine son auditoire jusqu’au climax : Sexy Back. Mis à part les quelques slows plus sirupeux qu’un pan cake sous érable, il tient la cadence sans faiblir. Dernière fronde aux caciques du genre, il ponctue son rappel d’une balade au piano. Nase, mais bon....
Mes trois sirènes ne braillent plus. Elles soupirent longuement, trempées, les yeux humides, le souffle haletant. Dehors, elles s’allumeront sans doute une clope. Laquelle parlera la première ? On dit que les premiers mots après l’amour sont toujours crétins. Je mise sur la petite rousse, la plus véhémente du trio. Je tends l’oreille. « Putain, c’était trop génial ! Faut qu’j’aille pisser ! » Gagné…

Vidéo à peu près correcte du concert de Sheffield. L'auteur de cette jolie piraterie était lui aussi entouré d'un banc de sirènes au bord de la crise de nerfs :


L'ouverture, filmée par les sirènes elles-mêmes. Évidemment, le cadrage est un brin fébrile. Attention, c'est assez violent:

Qualité en crescendo


Attention, disque important ! Avec Identité en Crescendo, Rocé vient de faire basculer le rap français. Jamais le genre n’avait été porté par une telle ambition et une telle intelligence. Cinq ans après un premier témoignage de son talent orchestré par DJ Medhi ( Top Départ, 2001), Rocé brise de ses rimes tranchantes les frontières musicales, s’élevant très haut au dessus des clivages. « Appelle ça du rap, du slam, du punk, ça ne me regarde plus. Quand tu mets mon pied dans une case, sais tu où l’autre se situe ? » Quand certains s‘égosillent à affirmer, lui ne cesse d’interroger. Rocé ne se résume pas, il est L’un et le multiple. L’homme a l’envergure massive de ceux qu’on n’enferme pas dans une boite et un talent trop large pour y accoler une simple étiquette. Seul, dialogue nerveux avec le saxophone virtuose d’Archie Shepp sur « les déguisements qui rendent l’intérieur inaccessible », trouve un écho puissant six morceaux plus loin avec Les Fouliens, implacable démonstration sur la dissolution de l’individu dans les pensées acides du groupe. La guitare virevoltante de Potzi donne une couleur manouche à Problèmes de Mémoires, texte sur les pages blanches de l’histoire, celles qui manquent cruellement aux hommes en quête d’un passé tronqué. Jamais les tensions qui traversent le pays n’avaient été révélées avec autant de lucidité que sur le percutant Je chante la France. Le Métèque déchante et envoie deux rimes définitives : « devoir s’intégrer à un pays qui est déjà le sien, c’est flairer, se mordre la queue donc garder un statut de chien. » Tout est dit. Pas de facilité dans les rimes ciselées du rappeur. La métrique y est poussée à un niveau rarement atteint. Chaque mot est pesé et fait pencher la balance du côté de l’excellence. « Sortir le rap de l’enfance, tel est mon rêve d’enfant. » clame Rocé sur Appris par cœur. Un rêve désormais réalisé.


Rocé, Identité en Crescendo, No Format 2006



Clip: Ma saleté d'espérance