C'était il y a dix ans, jour pour jour. Au bord de l'un des gigantesques bras du Mississipi, un ange s'apprête à prendre son envol dans les eaux sombres du fleuve. Sur la rive, le poste d'une voiture garée nonchalamment éructe un Led Zepplin possédé. Quelques mètres plus loin, un homme fixe l'impétueuse rivière. Son regard se perd dans ses profondeurs. Sur la surface vitreuse de ses yeux, un voile de larmes s'est déposé. La défonce a rougi ses fines paupières. Elles ne ressemblent plus qu'à deux meurtrières prêtes à cracher le feu sur un monde menaçant. A quoi pense l'ange? A la saloperie de l'existence? A cette mélancolie gloutonne qui ne cesse de le ronger? A l'impossibilité de s'extirper totalement de la médiocrité humaine, quelque soit l'ivresse? Derrière lui, Robert Plant accompagne d'un cri brûlant les distorsions fiévreuses qu'arrache Jimmy Page à sa guitare. L'émotion monte. Le niveau de l'eau aussi. L'ange en a jusqu'aux genoux, sans même s'en apercevoir. Contact doux, soyeux, protecteur. Fraîcheur salvatrice. Il fait si chaud. La voici à sa taille. Wanna whole lotta love? lui demande Robert Plant. Way down inside... Enfoncé bien profond... C'est ce dont tu as besoin... L'ange n'entend plus. Ses oreilles boivent la tasse. Puis ses yeux. Son front. Et sa chevelure folle et aérienne. Six jours plus tard, son corps est découvert, lové dans le lit du Mississipi. Il s'appelait Jeff Buckley.
Un seul album de son vivant, le bien nommé Grace. Un disque époustouflant de virtuosité, habité par le souffle du génie, porté par une voix à la douceur tellurique. Une perfection brute. Un opus unique tenant de l'alignement cosmique, à l'évident caractère divin. La musique d'un battement d'aile. Son auteur avait sans doute déjà quitté la terre lorsqu'il l'a enregistré. Bien avant qu'il ne se couche dans le Mississipi, ce 29 mai 1997.
Sa divine reprise de l'Hallelujah de Leonard Cohen:
So Real, version acoustique:
Grace. Rien à ajouter:
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3 commentaires:
tellement d'émotions dans ces lignes.....
Vous écrivez fichtrement bien m'sieur... Jeff Buckley a suscité en moi des émotions comparables. Très fortes. Ce type aurait pu révolutionner le rock. Sa musique sortait du schéma classique refrain-couplet, tout en restant accessible. Et en concert, quelle tuerie! Quel gâchis, ce Mississipi...
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Encore un génie disparu trop tôt...
Vais peut être m'inscrire à la prochaine star Ac' tiens
Très fort tout ca, ca m'a donné envie de le ré-écouter
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